L’impact du silence dans nos vies

La présidente de l’ordre des psychologues du Québec, Dre Christine Grou, témoigne dans la Presse.

Un peu de silence, s’il vous plaît

Dans un quotidien d'interactions constantes, le silence a bien souvent un... (Photomontage La Presse)

Dans un quotidien d’interactions constantes, le silence a bien souvent un parfum d’eldorado. Mais doit-on s’exiler ou encore fermer sa porte à double tour pour le trouver enfin? Pas du tout. Le silence est partout, expose l’explorateur norvégien Erling Kagge dans un récit très personnel sur la question. Il suffit de prendre le temps… et de le supporter.

À la recherche de son «pôle Sud»

L’explorateur Erling Kagge est le premier homme à avoir atteint le pôle Sud sans aide, en 1993. Le Norvégien s’est retrouvé seul sur une terre aride pendant 52 jours, plongé dans un silence presque total. Ironiquement, l’absence de sons s’est avérée particulièrement «assourdissante» pour l’aventurier.

«Plus c’était silencieux, plus j’entendais», a-t-il remarqué.

Qu’entendait-il, au juste? «Moi», philosophe-t-il.

«Sans contact avec le monde extérieur, complètement isolé, j’ai été obligé d’aller au bout de pensées qui m’avaient déjà traversé et, pire encore, au bout de mes sensations», écrit-il dans le livre Un peu de silence en cette ère si bruyante, publié ces jours-ci au Québec.

Grâce à ses expéditions aux quatre coins du monde, Erling Kagge a compris ceci: le silence n’a rien à voir avec l’absence de bruit.

On le trouve en pleine nature, mais aussi en prenant une douche, en marchant seul en ville, en faisant la vaisselle… Il suffit d’être capable de se «réfugier» dans ses pensées pour le trouver. Un exercice absolument essentiel, insiste-t-il.

Des années après avoir posé le pied au pôle Sud, il a d’ailleurs posé cette question à ses trois adolescentes, branchées de longues heures sur leurs appareils électroniques: dites, les filles, n’éprouvez-vous pas de plaisir à vous déconnecter, à vous retrouver seules avec vos pensées? Perplexes, elles ont haussé les épaules: euh, c’est pas un peu triste, le silence?

L’explorateur s’est alors lancé dans une nouvelle aventure: définir ce que c’est, le silence, pour enfin comprendre en quoi il est si important.

Pour Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, la question mérite toute notre attention : s’abstraire un instant au monde extérieur, «c’est plus que jamais nécessaire», estime-t-elle.

«Quelqu’un qui vit constamment dans un univers de surstimulation est peut-être en train de fuir ce qu’il a en dedans, illustre-t-elle. [Le silence] permet de créer un espace intérieur qui permet trois grandes choses: ressentir, réfléchir, et imaginer. C’est dans le silence qu’on arrive à calmer son système nerveux pour être en lien avec ses émotions.»

Appuyer sur «pause»

La démarche n’a rien d’ésotérique, assure la psychologue. Il s’agit seulement de s’accorder des moments de calme, sans parler ni consulter un écran. Et d’en apprécier les bienfaits. «On se sent toujours coupable quand on reste seuls dans notre chaise berçante, chez nous, ou encore quand on prend un deuxième café le samedi matin, expose-t-elle. On pense qu’on ne fait rien, mais c’est un leurre ! Il ne se passe pas rien! Il se passe plein de choses ! Vous ne verrez jamais personne avoir une idée de génie dans le feu de l’action. On se prive de ça quand on n’a jamais cet espace à nous.»

C’est justement ce que fait valoir Erling Kagge. Il cite au passage le scientifique Mark Juncosa, un ingénieur reconnu dans le domaine spatial, qui explique qu’après huit heures de réunion et après avoir répondu à tous ses courriels, il trouve généralement des idées sous la douche, aux toilettes ou lorsqu’il s’entraîne.

«Ça a du sens de méditer et de faire du yoga, ajoute M. Kagge. Vous pouvez faire ça pour vous retrouver, mais c’est important de comprendre que le silence que l’on cherche parfois très loin est là, accessible, à l’intérieur de nous, explique-t-il en entrevue à La Presse. Il faut juste se rendre compte qu’il est là.»

Un silence parfois douloureux

Tatiana Therrien entretient depuis des semaines une relation très étroite avec le silence. En juillet, elle a entrepris à Montréal une longue randonnée qui la mènera à Saint-Jean, Terre-Neuve, en novembre.

Son périple sur le Sentier transcanadien lui permet d’amasser des fonds pour l’organisme Suicide-Action, mais aussi de faire le point sur sa vie. Elle espère notamment passer par-dessus une rupture amoureuse.

«C’était le silence total dans le bois, mais oh mon Dieu… c’était bruyant dans ma tête!»

«Quand tu fais face aux problèmes que tu as eus depuis plusieurs années… c’est difficile, avoue-t-elle. À un moment donné, j’ai lancé mes bâtons de randonnée. J’ai crié. Je ne pensais tellement pas faire ça! Ce n’est pas mon genre!»

Sur le Sentier des Caps, dans Charlevoix, la jeune femme de 23 ans n’a croisé personne pendant près de cinq jours. «J’ai braillé. J’ai réalisé bien des choses… Je pensais à mon avenir. Je ne croyais pas penser à tout ça.»

Avec le temps, la jeune femme a appris à aimer, voire à rechercher ce silence et la réflexion qui l’accompagne. Après deux mois de route, elle en profite pour échafauder des plans et elle entrevoit l’avenir avec optimisme.

«Être face à soi-même lorsqu’on n’est pas habitué, ça peut être déstabilisant, explique la psychologue Christine Grou. Par contre, ce n’est pas dangereux d’être dans cet état-là. Il faut l’apprivoiser. Je mettrais par contre ce bémol: si quelqu’un ressent une grande détresse dans son silence, ce n’est pas le temps de rester tout seul avec ça. Il y a des contextes où il peut être nécessaire d’aller chercher de l’aide.»

Partir?

Parce qu’il est difficile de s’abstraire à un environnement hyper connecté, l’idée d’une retraite silencieuse plaît à une clientèle en croissance. Environ 400 personnes séjournent chaque année au Centre de ressourcement et de solitude Champboisé, en Outaouais.

«Quand on n’est pas habitué, les deux premiers jours, ce n’est pas évident de ne pas être connecté et de se retrouver seul, explique la directrice générale du Centre, Marie-Joëlle Tremblay. Généralement, après 48 h ou 72 h, les gens sont heureux de se retrouver. On s’entend de l’intérieur, on s’entend penser, on s’entend vivre!»

La directrice constate qu’il ne suffit pas de se retrouver dans un environnement silencieux pour trouver le calme tant souhaité. «On parle de silence, mais c’est un peu plus que de silence dont on a besoin. Il faut prendre le temps de se retrouver», ajoute Mme Tremblay.

C’est ce que souhaite Erling Kagge: «Certains vont dire « je suis trop occupé », « j’ai les enfants », « je suis sur appel tout le temps », mais ces personnes ont tort. Elles ne sont pas si importantes, elles peuvent prendre une pause. Et espérons que de cette façon, elles trouveront leur propre pôle Sud!»

L’art de faire son propre silence

Trouver du temps pour écouter ses pensées… Oui, mais comment y arriver sans que surgisse la sempiternelle liste de tâches à accomplir? Voici quelques pistes pour enfin aimer le silence.

La pleine conscience

«Une des techniques dont on entend beaucoup parler pour y arriver, c’est la pleine conscience», expose Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. Pour se placer graduellement dans cet état de calme, il suffit de trouver un espace tranquille où l’on peut se poser. «À ce moment-là, des idées vagabondes vont survenir, explique la psychologue. On prend conscience de ces idées sans porter de jugement. Si l’idée qui vient, c’est « oh mon Dieu, j’ai oublié de faire telle affaire », il faut juste remarquer que cette idée nous préoccupe, sans plus. Puis, on essaie de rediriger son attention vers sa respiration.»

Seul… ou pas

On associe le silence à la solitude, et pourtant, on peut très bien en faire l’expérience avec des proches, assure la présidente de l’Ordre des psychologues. Si la relation le permet, le silence n’a rien d’inconfortable, ajoute-t-elle. Au Centre de ressourcement Champboisé, il arrive que des personnes fassent l’essai du silence en duo ou en groupe. «Le fait d’être accompagné et entouré peut être plus rassurant pour quelqu’un qui n’est pas habitué à se retrouver seul avec ses pensées. La marche en nature avec un animal de compagnie est aussi une autre forme de silence sans être tout à fait seul», explique la directrice générale du centre, Marie-Joëlle Tremblay.

La théorie des petits pas

«Pour quelqu’un qui n’aime pas le silence, je dirais de ne pas commencer par des périodes d’une demi-heure! ajoute Christine Grou. Vous allez trouver le temps long et souffrant ! Commencez par des périodes de cinq minutes!» La psychologue explique qu’apprivoiser le silence peut se comparer à un entraînement pour la course à pied. «On va commencer par courir des périodes deux minutes, puis marcher… c’est un peu la même chose. C’est un entraînement. Quand on s’impose quelque chose de trop violent, la tendance naturelle est de fuir. On n’a pas le goût d’y revenir, et on crée exactement l’inverse de ce que l’on recherche.»

S’occuper… un peu

Lorsqu’ils s’offrent une retraite de silence, plusieurs pensionnaires du Centre de ressourcement Champboisé apportent des activités qui leur permettront de mieux apprécier le silence et la réflexion. Ils font des mandalas ou encore ils écrivent leurs pensées dans un livre. «De cette façon, ils ont moins peur de s’ennuyer et l’acclimatation au silence est peut-être plus douce», explique Marie-Joëlle Tremblay.

Chacun son calme

S’il fait part de ses réflexions aux lecteurs, l’explorateur Erling Kagge s’est bien gardé de transformer son livre en guide pratique. Pourquoi? «Parce que je crois que tout le monde peut découvrir comment trouver son propre silence, affirme-t-il. Si les gens le veulent vraiment, ils peuvent le trouver cinq minutes après avoir lu cet article. Ils ont juste besoin de comprendre qu’il y a dans le silence une grande possibilité de vivre une vie très riche. C’est excitant! Il faut découvrir quel est le potentiel de notre vie. On n’y arrive pas si on passe notre temps devant nos appareils électroniques.»